Neutralité du net : pour qui sonne le glas ?

Neutralité du net : pour qui sonne le glas ?
Réglementaire

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Après les mois de consultation, la nouvelle proposition de la FCC, le régulateur américain des télécoms, sur la neutralité du net vient de tomber : sans surprise, elle propose d’abroger purement et simplement ce principe, et de laisser les opérateurs proposer des accès rapides à Internet s’ils le souhaitent. Victoire pour les opérateurs télécom, défaite pour les fournisseurs de contenus – et, très probablement, pour les utilisateurs d’Internet.

Aux Etats-Unis, les opérateurs télécoms ont besoin d’aide. Ils ont dépensés tant pour se développer, et doivent encore dépenser tant pour mettre en place la 5G. Ils ont besoin de nouvelles ressources. Et, promis, ces ressources leur serviront à améliorer leurs services, pas à enrichir leurs actionnaires.

La neutralité du net, cible numéro 1 du sniper Ajit Pai

Ces ressources, Ajit Pai vient de leur offrir sur un plateau d’argent. Ajit Pai est le nouveau président de la Federal Communications Commission (FCC), le régulateur américain de télécoms. Nommé par Donald Trump, un de ses objectifs avoué était de détruire l’héritage de l’administration Obama en matière de régulation d’Internet. Cible prioritaire : la neutralité du net.

Le principe de la neutralité du net est que les opérateurs télécoms doivent traiter tous les trafics Internet de la même façon, sans en ralentir ou en accélérer certains, sans discrimination, limitation ni interférence, qu’importe l’expéditeur, le destinataire, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.

Elle avait été inscrite dans la loi américaine en 2015, au terme d’une haute lutte d’influence entre ses partisans et ses opposants. Une victoire d’importance pour ceux qui défendent un Internet ouvert, qui ne favorise, en terme de débit, aucun site ou application. Un Internet ouvert à la nouveauté et à l’innovation, puisqu’un nouvel entrant, si sa proposition est novatrice et plaît, disposera du même débit qu’un géant solidement installé. Un Internet où un obscur site inconnu du grand public est traité par les fournisseurs d’accès de la même façon que Facebook ou Google.

Dérégulation et retour à une « approche réglementaire légère »

Mais cette ère est probablement terminée. Après plusieurs mois de consultation publique, la proposition d’Ajit Pai met un terme à cette neutralité. Il ouvre la porte à la possibilité, pour les opérateurs télécoms, de monnayer des accès plus rapides. Il met sur place un Internet à plusieurs vitesse. Pai prétend que cette dérégulation est un bien pour Internet, qu’il retrouvera l’« approche réglementaire légère » qui lui a permis de s’épanouir, qu’avec sa proposition, « le gouvernement fédéral arrêtera de faire de la microgestion d’Internet ».

De jolis mots, mais qui ne signifie qu’une chose : en échange de promesses flous sur une « transparence accrues sur leurs offres et dans leurs communications aux consommateurs », les opérateurs télécoms ont touché le gros lot. Dans un avenir proche, les fournisseurs de contenu devront payer pour obtenir un débit élevé, ou voir leurs sites délaissés.

La modération d’Internet aux mains des opérateurs télécoms

Pire, cette disposition laisse la porte ouverte au choix, par les opérateurs, de refuser un débit élevé à certains sites ou contenus, pour des raisons leur appartenant – ce qui revient à confier la modération d’Internet aux grands groupes télécoms, qui n’ont jamais brillé par leur esprit de tolérance, de liberté ou d’ouverture aux autres.

« Les entreprises les plus détestées et les plus mal notées vont être libres de bloquer, d’étrangler ou de faire de la discrimination contre votre discours sur Internet si le président de la FCC obtient ce qu’il veut » a tonné Matt Wood, de l’association de consommateurs Free Press, qui considère cette proposition comme un « cadeau géant à quelques conglomérats » qui contrôlent le haut débit.

Vers un Internet moins créatif et moins libre

Les acteurs de la Silicon Valley ont également publié un communiqué critique, mais qui vient trop tard : le 14 décembre, la proposition d’Ajit Pai sera mise au vote à la FCC. En toute logique, vu la composition de la commission votante, elle devrait être adoptée.

Bien entendu, cette décision ne remet pas en cause la neutralité du net dans l’Union Européenne, qui y est plus que solidement arrimée. Mais imaginer qu’elle n’aura aucun impact sur l’internaute européen revient à affirmer que les sociétés américaines ne proposent rien d’innovant sur Internet… Si la créativité et la liberté de ton sont brimées aux Etats-Unis, notre Internet sera lui aussi moins créatif et, in fine, moins libre.