Intelligence artificielle dans la culture : révolution ou effet de mode?

Intelligence artificielle dans la culture : révolution ou effet de mode?
Culture et droits d'auteur

Le lundi 13 novembre dernier, dans son Café des Arts et des Lettres, le CultureLab du groupe Audiens a proposé au public un Afterwork dont le thème était : « L’intelligence artificielle, nouvel acteur de la culture ? » Des grands noms des médias ont tenté de répondre à la question et de proposer leur vision de l’avenir d’une société où l’artificiel le dispute au réel.

 

La salle du Café des Arts et des Lettres du groupe Audiens est comble. Il faut dire que la thématique, autour de l’intelligence artificielle qui nous environne, a de quoi susciter étonnement, fascination et frayeur. Car à propos des IA, on entend tout et surtout n’importe quoi. C’est pourquoi la présence de spécialistes de la question était légitime pour informer et rassurer tout un chacun. On retrouvait ainsi Sandrine Cathelat, directrice des études de l’Observatoire NetExplo, Eric Scherer, directeur de l’innovation et de la Prospective pour France Télévisions, Benoît Raphaël, créateur de Flint, Christophe Victor, directeur général des Echos, ainsi que l’auteur et compositeur André Manoukian, à qui on doit l’application numérique iMuze. Et tous de répondre aux questions d’Eric Breux, directeur du pôle Entreprises et Institutions d’Audiens pour ce cinquième Afterwork, après celui consacré l’année dernière au blockchain dans le secteur culturel.

 

L’intelligence artificielle dans la culture, une artiste en devenir ?

Après la projection d’un petit film où une intelligence artificielle semble peindre aussi bien qu’un Rembrandt, c’est la sociologue Sandrine Cathelat qui ouvre le bal et s’interroge sur l’émergence du digital et de ses impacts sur nos styles de vie et nos rapports avec les autres. A la question « L’intelligence artificielle a-t-elle déjà mis un pied dans le monde de la culture ? », elle répond que l’on a plutôt affaire à « des intelligences numériques plutôt qu’artificielles. Elles peuvent être très puissantes pour certaines, mais elles sont construites par des hommes et ne sont que des logiciels dirigés par un algorithme et de surcroît, ultraspécialisé. Elles ne savent faire ce qu’on leur a demandé et sont incapables de dévier ». Et de rappeler qu’en effet, ces intelligences sont inorganiques et seulement une immense base de données. Mais alors, peuvent-elles être considérées comme des artistes, car de nombreux exemples les montrent en train de composer un album ou écrire des livres, avec parfois des prix remis par des humains à la clé ?

« Je ne peux croire qu’une ligne de code puisse être une artiste, poursuit-elle. C’est avant tout une affaire d’hommes qui y mettent leur culture, leurs idées, leur vision du monde et y assignent leurs objectifs. Mais pour autant, l’intelligence artificielle a quelque chose d’artistique, car elle peut nous aider à retrouver des chansons que nous aimions, comme celles des Beatles, par exemple. Est-ce juste un duplicata de recette qui a fait ses preuves ou de l’artistique ? » Ce à quoi André Manoukian se refuse, les artistes étant capables de folie et de création ex-nihilo. « Les IA sont des artisans, avec l’acquisition d’une technique. Les machines n’ont pas d’ego, ne se posent pas de question. Reproduire un geste à l’identique n’est pas de l’art, mais de l’artisanat. En musique, ce n’est que de l’escroquerie. Il y a tout un effet d’annonce ». Pour le musicien, « on assiste au combat entre l’homme augmenté façon Iron Man, contre le robot façon Terminator ». Il rappelle ainsi que l’intelligence artificielle en musique a été inventée par Jean-Sébastien Bach, avec l’improvisation musicale et que déjà avant lui, c’était Pythagore qui avait fait en sorte d’assembler des harmonies. « C’est la musique qui dicte sa loi à un musicien ou un robot ». iMuze qu’il vient de concevoir, permet à tous ses utilisateurs de devenir des compositeurs en puissance, grâce à l’algorithme caché de Bach dans son Art de la fugue. « Vous allez jouer des notes au hasard qui vont être développées par des algorithmes, à partir de ce que vous avez créé. L’utilisateur va entendre ce qu’il a fait, développé de manière harmonique ».

 

En ce qui concerne les médias.

Pour Christophe Victor, le métier de journaliste a totalement changé ces dernières années, notamment avec l’émergence des réseaux sociaux. « Demain, on va passer d’un média d’information à un média d’analyse de l’information. Il y a tout un déluge d’informations qu’il faut hiérarchiser, commenter et en faire ressortir l’essentiel. L’IA peut repérer les fake news, elle est à la fois le problème et la solution. Il y aura toujours de l’espace pour de l’approfondissement d’une information qui sera vérifiée et risque du coup de devenir très chère. Ce qui peut être problématique pour le citoyen lambda. »

Pour le moment, les IA écrivent des articles assez limités et répétitifs. Une chaîne américaine les utilise, par exemple, pour recenser les résultats de matches, ce qui permet de faire des articles à la chaîne et d’avoir un référencement amélioré. « On utilise les IA pour les recommandations, en fonction de ce qu’on a l’habitude de lire, pour prévoir le nombre de clics sur un article, faire des abonnements en fonction de critères de navigation sur le site. Ca permet d’affiner les stratégies d’abonnement ». Ce que confirme Eric Scherer. Pour lui, l’intelligence artificielle est utilisée dans le monde de la publicité de manière massive. Et son avenir passera par une interface vocale : « parler et demander des choses à des machines sera de plus en plus spectaculaire, avec des bornes que l’on aura chez nous. Il faut travailler de nouveaux types de format comme dans le domaine des réalités altérées, développer l’éducation aux médias au grand public. C’est l’une des missions essentielles de demain : développer l’esprit critique vis-à-vis des informations et réduire le bruit d’Internet. »

 

Faut-il avoir peur de l’avenir ?

Pour mieux maîtriser les IA, de nouveaux métiers existent, comme celui de Benoît Raphaël, éleveur de robots. « La différence entre nous et une intelligence artificielle, c’est que nous avons des limites. Elle, non. Mais ce sont ces limites qui nous rendent créatifs. Nous avons conçu une petite IA que l’on élève soi-même pour qu’elle nous cherche des articles de qualité, apprenne à nous comprendre au jour le jour. Une expérience collaborative entre humains et IA. Une IA ne se programme pas, elle évolue par l’élevage, des données, des datas qu’elle trouve. Cela aide les humains à reprendre le contrôle ». Car nous sommes dans un monde imprévisible, où la technologie peut avoir tendance à effacer l’humain. « Il est temps de nous mettre à raconter notre propre histoire ».

En effet, la vision occidentale des machines est plutôt apocalyptique, avec des robots qui veulent annihiler l’humain. « On peut demain être remplacé et subordonné par des machines, tout comme on peut être en collaboration avec elles », précise Sandrine Cathelat. « De grandes sociétés mettent des fortunes dans le développement de ces IA en cherchant à résoudre les bugs éventuels, pour qu’elles s’éduquent et se programment seules, sans l’aide de l’humain et ainsi embrasser une réflexion stratégique et créative. Qu’est-ce qui va rester du domaine de l’humanité ? Le questionnement sur l’humain, justement c’est ce que l’on peut faire avec ces intelligences artificielles à nos côtés ». L’avenir nous le dira…

Julien Wagner