Logiciels libres : vie et mort d’Unity et de l’Ubuntu Phone

Logiciels libres : vie et mort d’Unity et de l’Ubuntu Phone
Événements

Mark Shuttleworth vient de l’annoncer : Canonical interrompt la distribution de sa plateforme Unity et de son smartphone Ubuntu Phone, pour se recentrer sur ses activités de cloud. Un virage qui sonne comme la fin d’une belle époque où Canonical rêvait d’étendre Linux au grand public

Canonical est la société éditrice d’Ubuntu, le système d’exploitation libre et gratuit le plus utilisé au monde, basé sur la distribution Linux. En 2010, Canonical a lancé une interface propre, baptisée Unity, et en a fait en 2011 l’interface par défaut d’Ubuntu, à la place des interfaces Mac, Windows ou Gnome qui étaient jusque là proposées par défaut.

Une interface originale

Unity est une interface particulièrement originale, elle ne s’appuie pas sur un « bureau » comme la majorité des systèmes d’exploitation : la navigation entre les différents programmes se fait grâce à un outil de recherche intelligent et une barre de raccourcis.

A sa sortie Unity avait fait débat : son anticonformisme risquait de gêner les utilisateurs habitués à des interfaces plus traditionnelles, mais de nombreux défenseurs soulignaient sa simplicité d’utilisation, une fois prise en main.

La stratégie de la convergence

Unity était surtout la pierre de touche de la stratégie mise en place à l’époque par Mark Shuttleworth, le PDG de Canonical : l’ambition d’Ubuntu était de proposer une convergence maximale entre les PC et les smartphones.

Pour ce faire, Canonical avait développé une version mobile d’Ubuntu, ainsi que des téléphones, les Ubuntu Phone, qui pouvaient se transformer en un véritable PC par l’ajout d’un clavier, d’une souris et d’un écran. Unity était le lien entre les versions PC et mobile – son nom avait clairement été choisi pour cela.

Un échec à convaincre les constructeurs et la communauté du logiciel libre

Dans un billet de blog publié le 5 avril, Mark Shuttleworth faisait le deuil définitif de cette ambition, annonçant la fin d’Unity et des projets smartphones de l’entreprise.

Sa proposition révolutionnaire a été un échec, ce qui l’a déçu, frustré et découragé. Les constructeurs de téléphone n’ont pas fait confiance à sa vision, choisissant la facilité de continuer à utiliser Android.

La communauté du logiciel libre n’a pas davantage été convaincue par les efforts de Canonical, qui ont été « perçus comme créant de la fragmentation, et non de l’innovation » explique Shuttleworth. Son amertume est plus que palpable : « Ce que les développeurs de l’équipe Unity8 ont produit est à la fois beau, pratique et solide, mais je constate que ce sont les marchés et la communauté qui décident finalement des produits qui continuent de croître et de ceux qui disparaissent ».

Un recentrage sur le cloud et les serveurs

La prochaine version d’Ubuntu utilisera encore Unity7, mais dès avril 2018, sa distribution retrouvera une interface Gnome, plus sage, plus classique.

Canonical a terminé l’année 2016 avec de bons résultats financiers et va se recentrer sur ce qui fonde aujourd’hui sa rentabilité, les serveurs, le cloud, l’Internet des objets. L’entreprise continuera de développer de nouvelles versions d’Ubuntu, mais les systèmes d’exploitation ne sont clairement plus sa priorité.

Aujourd’hui la division cloud et IoT de Canonical est en position de force sur le marché, notamment pour les entreprise, et c’est sur cette division que l’entreprise de Mark Shuttleworth va s’appuyer pour l’avenir, en s’orientant clairement vers un modèle business-to-business.

La fin d’un rêve

Canonical est en train d’abandonner son idéal de concurrencer avec des produits libres les offres payantes des Géants du Web. Voici quelques années, Mark Shuttleworth s’était donné l’objectif, louable et ambitieux, d’apporter « Linux aux êtres humains  », c’est à dire au grand public, et pas seulement aux professionnels ou aux férus d’informatique.

Cette réorientation signe un aveu d’échec et un renoncement d’ampleur pour l’un des grands idéalistes de la sphère numérique. Voir ces beaux rêves partir en fumée est, clairement, tout à la fois décevant et triste.