Ethique : les méduses bioniques ont-elles franchi une limite ?

Ethique : les méduses bioniques ont-elles franchi une limite ?
Innovation

Des chercheurs de l’université de Stanford et du Caltech viennent de présenter les résultats d’une expérimentation qui a peut-être franchi une limite en terme de bio-éthique : ils ont équipé des méduses de prothèses électroniques, permettant d’augmenter leurs vitesses via des impulsions électriques. Le procédé est légal aux Etats-Unis : pour autant, est-il vraiment moral ?

L’expérience semble tout droit sorti d’un film de SF, et pourtant, c’est une réalité de 2020. Une étude, publiée dans Science Advances le 29 janvier de cette année, détaille comment des chercheurs ont « amélioré » des méduses avec des composants électroniques permettant d’optimiser leurs compétences (vitesse de déplacement notamment) et, à terme, leur dicter leur comportement.

Des prothèses électroniques sur des méduses

L’équipe est issue de l’université de Stanford et du Caltech, deux universités privées américaines historiquement très liées à la Silicon Valley – donc aux mondes de la robotique et de l’intelligence artificielle.

Ils ont eu l’idée d’installer des prothèses électroniques sous le ventre de plusieurs méduses – en l’occurrence de l’espèce Aurelia Aurita, une des plus communes sur Terre, présente dans toutes les eaux du globe. Elle nage souvent en eaux peu profondes, et c’est cette espèce que l’on retrouve au bord des plages françaises.

Des méduses bioniques plus rapides et moins fatiguées

Dans le détail, les chercheurs ont conçu un petit boitier, fonctionnant avec une pile au lithium et un microprocesseur, maintenu sur le ventre de la méduse par une épingle en bois et deux électrodes. Ces dernières permettent d’envoyer des petites impulsions électriques pour contrôler leur vitesse de nage.

Les résultats furent assez impressionnant : les chercheurs ont réussi à faire se déplacer les méduses testées jusqu’à 3 fois plus vite que naturellement – et bien plus vite que la vitesse de pointe jamais enregistrée par une méduse. Mieux : la dépense métabolique n’était multipliée que par deux pour atteindre ce triplement de la vitesse. Pour parcourir une distance donnée, la méduse dépensait donc 1,5 fois moins d’énergie, tout en nageant plus vite. De vraies méduses bioniques, en somme !

Remplacer les véhicules d’exploration des océans par des méduses téléguidées

Les projets de l’équipe de Stanford et du Caltech sont d’aller beaucoup plus loin. Ils veulent pouvoir influer sur l’endroit où se rendent les méduses. Puis intégrer capteurs et caméra, pour qu’elles puissent enregistrer des mesures sur leur environnement marin (température, salinité, nutriments…).

Le but avoué est de pouvoir explorer les océans et effectuer des relevés avec ces méduses, en lieu et place des sous-marins ou drones aquatiques actuellement dédiés à cet usage. Un solution à la fois plus écologique et plus efficace, car la faune locale ne ressentira pas ces méduses bioniques comme des corps étrangers.

Hybrider la robotique et l’organique

Au-delà, cette expérience vise également à avancer sur les solutions d’hybridation entre la robotique et l’organique. Qui risque d’être une des révolutions technologiques de ces futures années – avec, en ligne de mire, l’« homme augmenté » cher à Elon Musk et aux transhumanistes.

Ces hybridations ne vont pas sans de lourdes questions éthiques. Et cette expérience est déjà, de ce point de vue, hautement problématique – et ses probables développements le seront encore plus. Est-ce moral de contraindre la vitesse de nage d’une méduse, voire de la téléguider comme un drone ?

Conscients de ces critiques, les chercheurs se sont couverts en affirmant que Aurélia Aurita était certes un organisme vivant, mais bien loin de nos standards – plus proche des insectes, sur lesquels les expérimentations sont tolérées.

Pas de douleur et pas de cerveau : l’expérience est-elle pour autant éthique ?

Ils précisent ainsi que ces méduses sont des « animaux invertébrés sans système nerveux central ou nocicepteurs [récepteur sensoriel de la douleur, ndlr] déclarés ». Elles n’ont pas non plus de cerveau. Pas de sensation de douleur, pas de pensée : l’expérimentation est donc, pour les chercheurs autorisée.

Et ceux d’autant plus qu’ils ont veillé à ce qu’aucun tissu ne soit endommagé et qu’ils ont veillé à vérifier que la méduse n’a pas exprimé de stress par la production de mucus. Sur ces points, il faut d’ailleurs les croire sur parole.

Le plus problématique est sans doute que cette expérience met le doigt dans un engrenage de recherches qui seront poussées toujours plus loin. Contrôler le vivant, téléguider des animaux, les zombifier en quelque sorte (au sens vaudou du mot) : quelles limites doivent être posé, et certaines n’ont-elles pas déjà été franchies ?