Piratage en ligne : quand on veut, on peut

Piratage en ligne : quand on veut, on peut
À la Une

Le récent blocage de la plateforme de téléchargement illégale YggTorrent démontre que, lorsque l’ensemble des acteurs concernés sont de bonne foi, il est possible de lutter efficacement contre le piratage en ligne.

Pour l’exemple. Fin juillet, la plateforme de téléchargement YggTorrent, très connue des internautes francophones, a été la cible d’un blocage administratif, ainsi que d’efforts pour la désindexer du moteur de recherche Google. Créé en 2017, le site héberge et référence des milliers de liens BitTorrent permettant à ses quelque 3,5 millions d’utilisateurs d’échanger des fichiers — le plus souvent des contenus culturels, comme des films ou des séries — théoriquement protégés par des droits d’auteur. En toute illégalité, les contrevenants s’exposant, toujours théoriquement, à des sanctions de la part de la Hadopi — qui, pour la petite histoire, a, depuis sa création, coûté au contribuable français la modique somme de 82 millions d’euros pour un gain évalué à 87 000 euros.

Quand coopération rime avec résultat

Les acteurs concernés par le piratage en ligne semblent donc avoir tenu à mettre un coup de pied dans la fourmilière. La plupart des FAI (fournisseurs d’accès à Internet) français en ont en effet rendu l’accès impossible, seule l’utilisation d’un VPN permettant encore de se connecter à YggTorrent depuis le territoire hexagonal. De son côté, le géant américain Google a fait disparaître le site de ses pages de recherche, qu’il s’agisse du nom de domaine initial, hébergé en Suède (. se) ou de celui vers lequel ses administrateurs ont basculé, hébergé en Slovénie (. si).

La nouvelle adresse de YggTorrent n’a semble-t-il pas résisté longtemps aux demandes des titulaires de droits, Google précisant que près de 660 demandes de déréférencement ont été émises par plus de 125 ayants droit. Ces requêtes concernent majoritairement des contenus culturels appartenant à de grandes chaînes de télévision (TF1, Canal+, France Télévisions), des acteurs de la SVOD (Apple, Amazon, Netflix), des sociétés de production (Studiocanal, Lionsgate, Sony Pictures) et même certains médias français tels que Le Point ou Le Parisien.

Les FAI traînent des pieds

Généralisée, l’offensive contre le site de téléchargement illégal démontre qu’il est bel et bien possible de s’en prendre efficacement au piratage en ligne. Elle demeure cependant une exception, tant les acteurs cette fois à l’œuvre brillent au contraire, d’habitude, par leur propension à traîner des pieds quand il s’agit de cibler les cyber-criminels faisant leur beurre du téléchargement en ligne. Les FAI français vont ainsi jusqu’à monnayer, au prix fort, leur intervention : « en France, la non-coopération des FAI est l’un des problèmes principaux », expliquait ainsi un expert en lutte anti-piratage sous couvert d’anonymat dans nos colonnes en début d’année.

« Ça empêche les détenteurs de droits (…) de savoir quels sont les sites et les serveurs les plus populaires », poursuit le même spécialiste, selon qui les FAI « demandent des compensations financières exorbitantes » aux ayants droit. « Certains FAI pensent même qu’il y a un nouveau business model derrière », en se prévalant du principe, dévoyé en l’espèce, de la « neutralité du Web » pour ne pas se conformer aux demandes des titulaires de droits — principe qui ne semble pourtant pas les déranger outre mesure lorsqu’il s’agit, par exemple, de bloquer des sites à caractère pédopornographique ou faisant l’apologie du terrorisme.

L’hypocrisie des géants du Web

Les géants du Web ne s’illustrent pas davantage par leur volontarisme et font, en ce qui concerne le piratage, parfois preuve de la plus grande hypocrisie. Ainsi d’Amazon, qui a récemment lancé sa propre plateforme de contenus vidéo, service dont la firme de Jeff Bezos fait la promotion… sur des sites de téléchargement illégaux. Google, de son côté, n’hésite pas à afficher sur ses pages de recherche des liens renvoyant vers des services, illégaux eux aussi, d’IPTV pirate. La firme de Mountain View engrange même des revenus grâce aux publicités que ces acteurs de l’IPTV illégale achètent via sa régie publicitaire. Un contresens qui illustre toute la difficulté de la lutte contre le piratage en ligne.