Solid : est-il encore possible de décentraliser les données personnelles ?

Solid : est-il encore possible de décentraliser les données personnelles ?
Propriété intellectuelle

Tim Berner-Lee, l’inventeur du Web, progresse sur son projet de décentralisation de la gestion des données personnelles – et partant, d’Internet tout entier. Baptisé Solid, porté par sa start-up Interupt, ce projet va prochainement démarrer ses premiers déploiements pratiques. L’objectif : redonner le pouvoir aux internautes face aux GAFA et autres multinationales du Web.

La start-up Interupt a été fondée en 2018 par John Bruce, ex-patron d’une société de sécurité informatique, et, surtout, par Tim Berner-Lee, le « père d’Internet » (il fut le principal inventeur du principe du Wolrd Wide Web au début des années 1990, notamment du HTML, créé en 1992).

Solid : le père du Web veut redonner le pouvoir aux internautes

L’homme est à la pointe du combat pour redonner aux internautes le pouvoir sur le Web, au détriment des plate-formes multinationales qui le contrôlent aujourd’hui, notamment via la collecte et l’agrégation de données personnelles. Tim Berner-Lee voudrait renvoyer l’Internet à une ère « pré-Google », et il multiplie les travaux et projets dans ce sens. Sans beaucoup de succès, malheureusement.

Mais il ne rend pas les armes, et Interupt est le fer de lance de son ambition, notamment via le projet open source Solid, qui vient de rentrer dans une nouvelle étape de son développement. Le principe de Solid est de laisser les internautes gérer eux-mêmes leurs données, via une plate-forme et un module dédié.

Un module contrôlant toutes les données personnelles de l’utilisateur

Dans le détail, toutes les données de l’internaute seront contrôlées par ce module : relié à tous les appareils de l’utilisateur disposant d’une connexion Internet (smartphone, ordinateur, tablette, objets connectés…), il bloquera par principe la collecte et la transmission des données, et ne délivrera les autorisations qu’au cas par cas, dans un cadre strict et défini par l’internaute. Ainsi, aucune entreprise tierse ne possédera la moindre donnée sur l’utilisateur, qui en restera maître.

Pour déployer plus largement Solid, l’entreprise compte sur Bruce Schneier, un spécialiste en sécurité informatique et cryptographie, qui a rejoint Interupt le 21 février 2020 et sera chargé de piloter la sécurité du projet.

« Vos données ne se trouvent plus dispersées aux quatre vents sur le net, et contrôlées par on ne sait qui. Elles sont à vous »

« Vous autorisez l’accès granulaire à ce module à qui vous voulez, pour les raisons que vous voulez. Vos données ne se trouvent plus dispersées aux quatre vents sur le net, et contrôlées par on ne sait qui. Elles sont à vous. Si vous voulez que votre assurance ait accès aux données de votre condition physique, vous l’accordez par le biais de votre module. Si vous voulez que vos amis aient accès à vos photos de vacances, vous le leur donnez par l’intermédiaire de votre module. Si vous voulez que votre thermostat partage des données avec votre climatiseur, vous leur donnez à tous les deux accès par votre module », expose Bruce Schneier.

Interupt est en train de développer, en collaboration avec le Grand Manchester, un système de numérisation des données médicales des très jeunes enfants s’appuyant sur Solid, et permettant aux parents de garder un contrôle total sur ces données.

Le grand public peut-il adopter Solid ?

Reste la question centrale de ce projet : Solid peut-il s’imposer, auprès du grand public, comme une alternative crédible ? Au-delà des militants pour la liberté sur Internet et des technophiles, le paramétrage continu du module pourra-t-elle être préférée à la simplicité de la collecte des données par les géants du net ? En voyant les parts de marché de Google sur la navigation Internet et les moteurs de recherche, on peut sérieusement en douter.

Bruce Schneier lui-même en est conscient : « l’idéal serait que le système de modules soit entièrement distribué. Le module de chacun serait sur un ordinateur qu’il possède, fonctionnant sur son réseau. Mais ce n’est pas comme cela que cela se passera dans la vie réelle. Tout comme vous pouvez théoriquement gérer votre propre serveur de courrier électronique mais qu’en réalité vous le sous-traitez à Google ou à qui que ce soit, il est probable que vous sous-traiterez votre pod à ces mêmes entreprises ».

Un pas dans la bonne direction

Mais reste que Solid permettrait de laisser une alternative, un choix, une autre voix. Une possibilité fondamentale pour Tim Berner-Lee, qui voit dans Solid un « ajustement à mi-parcours fondamental qui doit redonner du pouvoir aux utilisateurs ».

Un projet comme Solid s’inscrit dans un contexte de réaction contre la toute-puissance des GAFA sur les données, comme des décisions politiques fortes comme le RGPD (et ses imitations qui s’étendent dans le monde), ou l’essor des navigateurs et moteurs de recherche plus respectueux de la vie privée. Un autre Internet est possible ? La réponse est définitivement oui.