IPTV : le streaming dans l’ombre de la mafia

IPTV : le streaming dans l’ombre de la mafia
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De plus en plus de particuliers ont recours à l’IPTV, une technologie pirate permettant de visionner les programmes des chaînes payantes sans avoir à y être abonné. Mais contrairement à ce que certains imaginent, ce ne sont pas quelques « white hackers » qui alimentent ce système, mais de véritables réseaux mafieux, parmi lesquels la fameuse Camorra napolitaine.

« Films et matches de foot, trop chers, la vie n’a pas de prix ! » : tel pourrait, en paraphrasant la célèbre chanson du groupe Téléphone, être le crédo des milliers d’adeptes de l’IPTV. L’IPTV (pour Internet Protocol TeleVision) ? Il s’agit d’une technique de piratage permettant d’accéder — au moyen d’une appli pirate installée sur un boîtier Android relié à sa TV — à des centaines de chaînes de plusieurs pays. Et à leurs programmes très chèrement acquis, qu’il s’agisse de superproductions hollywoodiennes ou de prestigieuses rencontres sportives — le phénomène explose depuis l’arrivée sur le marché de chaînes spécialisées, telles que beIN Sports ou RMC Sport. Le tout, en direct ou en replay, contre un abonnement aux tarifs défiant toute concurrence.

De fait, « un an d’IPTV revient aussi cher que de cumuler trois bouquets pendant un mois », confirme au magazine Challenges un utilisateur anonyme, qui fait sans doute partie des 54 % de « pirates » confessant s’être désabonnés d’une offre légale à la suite de leur souscription à l’IPTV. « L’IPTV, c’est l’avenir, alerte dans les mêmes pages une responsable de beIN Sports France. Cela ne s’adresse pas aux geeks (…). C’est dramatique une telle facilité d’accès pour une très bonne qualité de service ». Un drame qui a un coût : 400 millions d’euros par an de manque à gagner pour les chaînes à péage. « Nous sommes rentrés dans l’ère du piratage convivial », admet Jacques Bajon, le directeur médias et contenus numériques de l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications (Idate).

Une « industrialisation » du piratage au service d’une « criminalité en col blanc »

« Conviviale », l’IPTV l’est sans doute moins qu’elle ne le laisse supposer au premier abord. Derrière l’image, somme toute sympathique, de petits génies de l’informatique bidouillant dans leur garage afin de contourner la toute puissance des multinationales de l’audiovisuel, se dissimule en effet une réalité bien moins avouable. Celle d’un marché mondial du piratage, organisé par et pour de véritables réseaux mafieux, allant des fournisseurs aux fabricants de matériel, en passant par les intermédiaires et annonceurs publicitaires. Loin d’être le fait de hackers isolés, le piratage à grande échelle est opéré au sein d’immenses « fermes » situées, la plupart du temps, en Asie du Sud-Est ou en Russie.

« Il y a une vraie industrialisation de solutions semi-professionnelles », détaille également Jacques Bajon. « Nous avons affaire à une criminalité en col blanc qui arrive à monter des affaires très lucratives », explique de son côté un responsable de l’agence européenne de police, Europol. Des réseaux criminels qui se rémunèrent grâce aux formules d’abonnement qu’ils proposent à leurs clients, mais aussi, et surtout, grâce à la publicité présente sur leurs plateformes. Publicité qui renvoie, la plupart du temps, vers des sites de paris en ligne ou des contenus pornographiques, et ce quel que soit l’âge des internautes utilisant ces services.

La Camorra impliquée dans l’IPTV

Italie oblige, ces réseaux criminels semblent particulièrement actifs dans le pays d’origine de la mafia. Fin 2019, le quotidien sportif La Gazzetta dello Sport a ainsi révélé qu’une partie des services d’IPTV disponibles sur la péninsule était dirigée… par des membres de la Camorra, la tristement célèbre mafia napolitaine. L’un de ses dirigeants, Franco Maccarelli, a ainsi été appréhendé à la fin du mois de septembre dernier par la police italienne, qui le soupçonne, écoutes téléphoniques et relevés bancaires — de plus de 6 millions d’euros — à l’appui, d’avoir été à la tête d’un vaste système de piratage. Une démonstration supplémentaire de l’implication de réseaux dangereux dans un phénomène qui dépasse, de loin, le simple plaisir de regarder des programmes télévisés sans débourser un centime.