Le Kremlin veut imposer une alternative russe à Wikipedia

Le Kremlin veut imposer une alternative russe à Wikipedia
Souveraineté numérique

Le gouvernement russe vient de débloquer un financement de 28 millions d’euros pour moderniser une encyclopédie en ligne, contrôlée par une maison d’édition russe. L’objectif avoué est de remplacer Wikipedia, dont les informations ne sont pas jugés fiables par les autorités russe.

La souveraineté numérique concerne aussi les connaissances encyclopédiques. Et les pays souhaitant contrôler Internet se retrouvent souvent à contester, plus ou moins directement, Wikipedia.

Haro sur la version russe de Wikipedia !

Quoique gérée par ses contributeurs et avec des règles strictes sur les mentions des sources, les informations contenues dans Wikipedia sont souvent jugées pro-occidentales dans les pays opposés diplomatiquement aux Etats-Unis, et en premier chef la Russie.

Les autorités russes affirment depuis longtemps que les informations contenues dans la version russe de Wikipedia ne sont ni exactes, ni vérifiées. En août 2019, le ministre du développement numérique, des télécommunications et des médias du pays a demandé aux journalistes et aux étudiants de ne plus citer Wikipedia.

La Grande Encyclopédie Russe : une alternative sous contrôle

D’où l’idée de développer une alternative russe à la célèbre encyclopédie en ligne. Les autorités se sont appuyé pour cela sur la maison d’édition de la Grande Encyclopédie Russe, publiée en 36 volumes entre 2004 et 2017. L’ensemble de ces volumes ont été numérisés et mis en ligne gratuitement, avec une architecture d’hyperliens, au sein de la plate-forme bigenc.ru.

Le projet a été adoubé par Vladimir Poutine lui-même : « En ce qui concerne Wikipédia (…), il vaut mieux le remplacer par la Grande Encyclopédie russe sous forme électronique », a déclaré le chef de l’Etat russe lors d’une réunion du Conseil de la langue russe qui officialisait la montée en puissance de bigenc.ru.

28 millions d’euros pour moderniser l’encyclopédie

Quinze jours plus tard, Sergey Kravets, porte-parole de la Grande Encyclopédie russe, a déclaré que la plate-forme allait recevoir une aide de 2 milliards de roubles du gouvernement russe, soit 28 millions d’euros pour moderniser et compléter l’encyclopédie en ligne, et de l’inscrire dans l’actualité immédiate, à la manière de Wikipedia. Cette mise à jour va démarrer en 2020 et sera achevée en 2022.

Parallèlement, Sergey Kravets a garanti que l’ensemble de ces pages seraient traduits dans d’autres langues (anglais, mandarin, portugais, espagnol en première ligne) : il a annoncé que le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud envisageaient de collaborer à ce projet.

Vers une coupure de Wikipedia

Reste à savoir si, une fois la Grande Encyclopédie Russe parfaitement opérationnelle en ligne, les autorités russes couperont la lumière pour Wikipedia. Une chose est certaine : elles ont les moyens techniques de le faire.

En effet, en novembre 2019, l’Assemblée russe a validée une loi dite de « souveraineté de l’Internet », qui donne aux autorités des moyens de contrôle accrus des flux Internet. La méthode est aussi simple qu’impitoyable.

Plutôt que de négocier avec les Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) pour qu’ils interdisent ou bloquent des sites, la loi oblige ces FAI à faire transiter l’ensemble de leurs flux par des serveurs et des équipements gérés par les autorités russes.

Arme de censure massive

Un peu comme si le Kremlin disposait d’un interrupteur particulier pour bloquer directement un site ou un nom de domaine, hors du contrôle (et même de la connaissance) des FAI. Ce système rappelle beaucoup le fameux « grand pare-feu » en vigueur en Chine.

Les autorités utiliseront-elles cette arme de censure massive pour interdire la version russe de Wikipedia après 2022 ? Un indice, pour vous, à la maison : une grande campagne de communication de blogueurs russes de premier plan défend depuis plusieurs semaines l’idée que la version russe de Wikipédia est « pratiquement la propriété des agences de renseignement occidentales ».

Quand on connaît la souplesse du Kremlin face aux espions occidentaux, réels ou supposés, il y a de quoi être inquiet pour la liberté (déjà très relative) de l’Internet russe.