Cloudwatt : vie et mort du premier « cloud souverain » de la France

Cloudwatt : vie et mort du premier « cloud souverain » de la France
Souveraineté numérique

L’aventure de Cloudwatt est symptomatique de ces éléphants blancs de hautes technologies made in France, qui finissent par s’échouer dans des cimetières où tout le monde les oublie. La fin de l’histoire de Cloudwatt, un des deux versants du premier « cloud souverain » lancé en grande pompe par Nicolas Sarkozy, est celle d’un service moribond, que son propriétaire, Orange, décide de débrancher.

Voulu par Nicolas Sarkozy, lancé sous François Hollande, mort sous Emmanuel Macron : tel est l’itinéraire du premier « cloud souverain », appelé de ses vœux par Nicolas Sarkozy à la fin de son quinquennat.

Andromède, un projet de cloud souverain… coupé en deux entre Orange et SFR

Le projet lui survit, et c’est en 2012, au début du mandat de François Hollande, qu’est lancé ce qui s’appelle encore Andromède, et dans lequel l’Etat français compte investir 150 millions d’euros. L’ambition : développer une technologie de cloud hautement sécurisée, créé et contrôlé par les autorités françaises, pour y stocker toutes les données sensibles de l’Etat, et plus encore. Ce serveur mutualisé avait pour but de réduire les coûts pour les ministères et les entreprises d’Etat.

Mais, dés le départ, les groupes technologiques français choisis ne parviennent pas à s’entendre. A l’époque au plus fort de leur guerre commerciale, Orange et SFR refusent de marcher main dans la main. Le projet est donc scindé en deux, et avec lui les 150 millions d’aide. Orange s’allie à Thalès pour créer Cloudwatt, et SFR noue un partenariat avec Bull pour créer Numergy.

Bercy arrête les frais au bout de deux ans

Après deux ans d’existence, le bilan des deux services est tout bonnement catastrophique. Malgré l’argent public et privé investi, aucun des deux clouds ne trouvent de clients. Leurs chiffres d’affaire plafonnent à 6 millions d’euros pour Numergy et à 2 millions d’euros pour Cloudwatt. En 2015, le Ministère de l’Economie décide d’arrêter les frais, après avoir dépensé, à perte, 75 millions d’euros. Orange rachète les parts de Thales et de l’Etat, et SFR celles de Bull et de l’Etat, et les deux services prennent leur indépendance.

« L’offre et la technologie de Cloudwatt représentent une opportunité pour accélérer le déploiement du cloud public souverain en France et en Europe », exposait en 2015 Orange dans un communiqué. Quatre ans après, le constat d’échec est total. Cloudwatt vivote au sein des offres cloud d’Orange. L’opérateur télécoms vient donc décider de débrancher le moribond.

« Cloudwatt sera désactivée et sans action de votre part vos données seront définitivement effacées »

L’enterrement se fera sans fleurs ni couronnes. « A compter du 1er février 2020, la plateforme Cloudwatt sera désactivée et sans action de votre part vos données seront définitivement effacées et non récupérables » : tel est l’épitaphe de Cloudwatt, un message froid envoyé à la poignée de clients du service.

Pour autant, cette aventure n’aura pas servi à rien. Du coté d’Orange, elle a permis d’essuyer les plâtres, avant de développer une nouvelle technologie cloud beaucoup plus convaincante : Flexible Compute.

Les clients de Cloudwatt sont d’ailleurs invité à migrer vers cette solution : « Nous disposons ainsi d’une autre solution OpenStack opérée par Orange Business Services, disponible en France comme à l’international : Flexible Engine. Cette solution permet notamment d’héberger vos applications aussi bien traditionnelles que cloud native et vous offre une richesse fonctionnelle incomparable », écrit Orange dans le même message.

Vers « un cloud national stratégique » ?

Du coté du gouvernement, cet échec est, semble-t-il, dans toutes les mémoires au moment de mettre en place un nouveau cloud souverain, baptisé par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, « un cloud national stratégique ». Le but : créer écosystème de cloud de confiance. Plusieurs acteurs clés du cloud, comme OVH ou Oodrive, sont en train de rédiger un contrat stratégique de filière.

« Cette fois, on ne présumera pas de la nationalité des acteurs mais de leurs capacités à garantir l’intégrité des données au regard de nos lois et de l’autonomie stratégique sur nos infrastructures essentielles et nos données », note Jean-Noël de Galzain, le président d’Hexatrust qui siège au comité stratégique de filière. Et cette fois, espérons le, la fin de l’histoire sera moins déprimante…