1fichier.com, ou la culture de l’ambiguïté juridique

1fichier.com, ou la culture de l’ambiguïté juridique
Culture et droits d'auteur

La société DStoage, éditrice de 1fichier.com, a souhaité publié un droit de réponse, qui peut être consulté à la fin de cet article sans aucune intercalation, conformément à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

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1fichier.com, l’une, si ce n’est la solution préférée des internautes pour télécharger des contenus illégalement sur le Web, symbolise à elle seule le vide juridique qui permet aux acteurs du streaming et du téléchargement illégal de prospérer. Explications.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, 1fichier.com, hébergeur de contenus en ligne bien connu des pirates, a pignon sur rue en France. La célèbre plateforme est en effet éditée par la société DSTORAGE, domiciliée à La Chapelle-aux-Bois, dans le département des Vosges.

Extrait des mentions légales du site 1fichier.com

1fichier.com

Extrait du RCS de la société DSTORAGE

1fichier.com

La situation juridique de 1fichier.com est plutôt floue. En effet, déjà à ce stade, nous pouvons légitimement nous demander si Yohan Tordjman et Nessim Tordjman sont une seule et même personne ? Si l’on en croit les mentions légales présentes sur 1fichier.com, le directeur de publication du site et président de la société est « Yohan Nessim Tordjman ». Or, d’après le registre Whois de 1fichier.com, le propriétaire du site est « Yohan Tordjman ».

Extrait du registre Whois du site 1fichier.com

1fichier.com

Un nom qui figure dans plusieurs articles de presse et qui est lié à un compte LinkedIn, ce qui n’est pas le cas de « Nessim Tordjman ». Pourtant, à en croire le registre du commerce et des sociétés (RCS), « Yohan Tordjman » a occupé le poste de président de DSTORAGE jusqu’en janvier 2013, avant d’être remplacé par « Nessim Tordjman »… Une situation singulière, symbole de l’ambiguïté qui entoure la société et son activité.

« Simple hébergeur de contenus » légaux et illégaux

Identifié par la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) comme étant un acteur majeur du téléchargement illégal, 1fichier.com, par le biais de son éditeur DSTORAGE, n’a de cesse de clamer son innocence : « la société DSTORAGE s’inscrit en faux contre les allégations contenues dans l’étude mise en ligne par l’HADOPI relative à l’écosystème du piratage qui porte atteinte à son honneur et à sa considération en la présentant comme un acteur majeur du secteur de la contrefaçon en ligne », peut-on ainsi lire dans un droit de réponse présent sous un article intitulé « Hadopi s’avoue désarmée face aux nouveaux moyens de piratage », publié le 31 janvier dernier par le pure player PhoneAndroid.

Pour appuyer ses dires, DSTORAGE argue le fait qu’elle n’est qu’un « simple hébergeur au sens des articles 14 de la directive e-commerce et 6-I-2 de la LCEN et qu’elle n’est en rien assimilable à un site de direct download ».

L’article 14 de la directive e-commerce prévoit que les hébergeurs ne sont pas responsables des contenus fournis et stockés par des tiers sur leurs serveurs, s’ils n’ont pas connaissance du caractère illégal de ces derniers. Un article derrière lequel se range la totalité des plateformes en ligne, à l’instar d’Airbnb par exemple, pour se dédouaner de toute responsabilité concernant l’illégalité des contenus qu’elles affichent.

Si 1fichier.com affirme n’entretenir « aucun lien avec les sites visés dans l’étude de l’HADOPI consacrée à l’écosystème illicite des biens culturels dématérialisés », dans les faits, la situation semble plus complexe. En effet, la grande majorité des sites de téléchargements illégaux, notamment les plus connus — The Pirate Bay et Zone Téléchargement —, renvoient les internautes vers 1fichier.com au moment du download, via des liens cliquables.

Extrait du site Zone-téléchargement (27 février 2019)

1fichier.com

Extrait de la page du site 1fichier.com liée au site Zone-téléchargement
(27 février 2019)

1 fichier.com

 

Après un rapide tour d’horizon sur le célèbre site pirate Zone-téléchargement, il semblerait que la totalité des contenus qu’il propose, soit plusieurs milliers, sont disponibles en téléchargement sur 1fichier.com. Qui ne jouirait sûrement pas d’un trafic si important — 40 millions de visiteurs par mois — sans les sites pirates comme Zone-téléchargement.

Conflit avec la Société Générale

Cette proximité avec les sites pirates a déjà valu à DSTORAGE quelques déconvenues, notamment avec la Société Générale, chez qui l’entreprise dispose d’un compte bancaire sur lequel transitent les profits générés par 1fichier.com.

Aperçu du RIB de la société DSTORAGE
présent sur le site 1fichier.com

1 fichier.com

En 2015, la banque française a en effet considéré que 1fichier.com avait commis des « actes de contrefaçon, violant ses conditions générales d’utilisation associées », à plusieurs reprises. Résultat : la Société Générale a décidé de mettre un terme à son contrat avec l’éditeur DSTORAGE.

Depuis, une bataille juridique fait rage entre les deux entités, DSTORAGE arguant n’être qu’un simple hébergeur de contenus et que par conséquent « aucun acte de contrefaçon ne peut lui être imputé », et ce en dépit des milliers de liens frauduleux identifés sur 1fichier.com.

Sûr de son fait, DSTORAGE a même décidé, en 2018, de porter plainte contre les ministères de la Culture et de l’Economie concernant l’approche « follow the money » mise en place par les autorités, et qui consiste à identifier et couper les sources de financement des sites pirates et de leurs partenaires. La société estime que cette stratégie est « appliquée aujourd’hui de manière totalement opaque et en violation de tous les principes gouvernant le droit processuel », selon les mots de Ronan Hardouin, avocat de DSTORAGE. Le monde à l’envers.

La défense de l’avocat de l’éditeur du site 1fichier.com consiste à affirmer que « les services fournis par le site 1fichier.com s’apparentent clairement aux services fournis par Amazon S3, Google Drive, Dropbox, qui continuent de bénéficier, contrairement à la société DStorage d’une solution de paiement par carte bancaire ». Problème : Zone-téléchargement, The Pirate Bay, etc., n’ont jamais proposé de télécharger illégalement le dernier Spielberg via Google Drive, Dropbox ou Amazon S3…

Google moins regardant

Si la Société Générale a décidé de mettre un terme à sa collaboration avec 1fichier.com en raison de sa position ambiguë au sein de l’écosystème du téléchargement illégal, la régie publicitaire de Google, Google Adsense, semble quant à elle moins regardante.

Déjà épinglée il y a quelques semaines pour sa collaboration — qui a aujourd’hui cessé — avec le célèbre site de streaming illégal, VoirFilms.ws, Google Adsense persiste et signe en collaborant aujourd’hui avec 1fichier.com.

Extrait du code source lié aux publicités présentes sur 1fichier.com

1 fichier.com

D’aucuns estimeraient que le géant américain n’a aucune envie de faire l’impasse sur les 40 millions de visiteurs mensuels de la plateforme, qu’importe si la plupart d’entre eux s’y rend pour télécharger illégalement la dernière saison de Game Of Thrones.

Droit de réponse société DSTORAGE

La société DSTORAGE tient à rappeler que, contrairement à ce qui est asséné dans l’article litigieux, son positionnement juridique est limpide. La société DSTORAGE est un hébergeur. Elle bénéficie à ce titre d’un régime de responsabilité limitée accordé à tout hébergeur en contrepartie des services qu’elle apporte à la société.

A cet égard, la société DSTORAGE tient à rappeler que cet objectif ne consiste pas seulement à supprimer les contenus illicites et notamment ceux protégés par un droit de propriété intellectuelle mais également à s’assurer que les retraits demandés ne font courir aucun risque d’atteinte aux libertés publiques. En d’autres termes, en qualité d’hébergeur la société DSTORAGE ne doit pas être à la solde des ayants droit mais se doit de prendre en compte l’intérêt des internautes.

Ainsi un notifiant doit a minima rapporter la preuve de la titularité de ses droits, être certain que le contenu auquel renvoie le lien est bien un contenu appartenant au notifiant ou encore que le contenu dénoncés ne peut faire l’objet d’aucune exception à l’autorisation de l’auteur.

Sous réserve du respect de ces conditions et de la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2004, la société DSTORAGE se comporte en hébergeur diligent et procède au retrait des contenus dont l’illicéité est avérée.

Elle affiche d’ailleurs les conditions de ces retraits depuis son site internet : https://1fichier.com/abus.html.

Il est donc erroné et révélateur d’une méconnaissance des mécanismes gouvernant la responsabilité des hébergeurs de soutenir que la société DSTORAGE entretient « une culture de l’ambiguïté juridique ».